Rémi Guerrin, né à Lille en 1962, rencontre l’univers de l’image par la transparence et par la couleur. Les projections de diapositives de sa grand-mère maternelle, revenue de voyages, initient l’imaginaire du jeune homme. Des images chargées de mémoire, des lieux inconnus... Sa maison natale est empreinte du mystère de la photographie, de la naissance des images, de leur matérialité. Son père, homme de sciences renommé, pratiqua la photographie argentique dans son laboratoire médical pour ses recherches expérimentales. 

Rémi, qui se rêvait en architecte, découvre l’histoire de l’art lors de ses études à l’institution scolaire Saint Luc à Tournai. Ce sont les photographies de Alfred Stieglitz, de Josef Sudek et les contacts de Paul Strand qui forment le cœur de ses références à la fin des années 1970 et marquent son désir de leurs empreintes. Sur le plan matériel, il a eu la possibilité de découvrir des méthodes de fabrication dans l’école privée de photographie au Mourre du Bès à Lacoste de Jean-Pierre Sudre et auprès de Claudine, son épouse, spécialiste de la photographie ancienne et tireuse pour la Bibliothèque nationale. Il y voit des tirages et de nombreuses bandes d’essai de photographies de Nadar et de Baldus ; il rencontre l’univers de Brassai... L’artiste expérimente et se forme à des techniques photographiques anciennes auprès de Denis Brihat et, notamment, de Nancy Wilson-Pajic.

Il compose un « vocabulaire photographique » personnel en cherchant sa propre relation à la matière des images, leurs processus de fabrication, les gestes et la précision de ces actes répétés. 

Durant les années 1990, et après avoir travaillé à son compte en tant que tireur professionnel, Rémi se met en mouvement : lors des déplacements en Andalousie, à Lugano, à Liverpool, au Vietnam, à Marseille il pratique le sténopé, la box... Ses explorations investissent également son territoire natal : les paysages du bassin minier du Nord de la France et, plus récemment, le littoral.

Sur la durée, il définit une approche qu’il impose à l’image, une approche sensible où le corps, son corps, prend une place centrale. Il photographie des espaces de vie ; le rapport entre les êtres et les lieux. L’artiste fabrique son appareil, adapté pour convenir à sa manière de photographier. Il le tient sans scruter, sans viser ; il se pose dans l’espace avec les sujets de son travail. Les techniques photographiques sont réduites à l’essentiel lors de la prise de vue. Instinctivement, Rémi mesure la lumière, aborde l’ombre par une sensibilité accrue de son corps qui reçoit l’image. 

Tout le contraire d’une soustraction théorique du réel, ce travail photographique montre la densité concrète et prégnante de lieux où une certaine vitalité intime est omniprésente. Les images sont réalisées par contact ; utilisant des procédés longs et délicats, l’artiste travaille également la couleur, en monochrome, comme le témoigne cette première édition monographique sur un corpus de quinze années de travail. 

« La vie sensible n’est pas seulement ce que la sensation éveille en nous. C’est à la fois la manière par laquelle nous nous donnons au monde, la forme qui nous permet d’être dans le monde (pour nous-mêmes et pour les autres) et la voie par laquelle le monde se fait pour nous connaissable, praticable, vivable. Ce n’est que dans la vie sensible qu’un monde s’offre à nous, et ce n’est que comme vie sensible que nous sommes au monde. Emanuele Coccia, in «La vita sensibile » (La Vie sensible), éd Bibliothèque Rivages, 2010.


Pia Viewing

pour le livre Limons 2015