Sur le littoral de la côte d’opale, les matières minérales et végétales exhibent leur nudité ; Ceci, par un effondrement progressif, elles prennent des formes inattendues, entrant dans le champ de l’imaginaire, créant un hors-champ du rêve, quand des blocs de béton se trouvent éventrés, reposant tels des gisants regardant le ciel et ne voyant rien venir.
Cette matière tellurique en déséquilibre agit par fracture, et la nature mystérieuse de l’habitat se transforme radicalement, la déstabilisation du terrain en devient inquiétante. Dans ce chaos à ciel ouvert, les blocs reposent impuissants, et, la mer, inlassablement, vient de ressac en ressac dévorer sa protection naturelle, tout comme saturne dévore ses enfants.
Enfant, j’arpentais ces falaises, faites de dunes, de matière argileuse, de roche, d'hoyats et de panicauts, de sable argenté : un lieu de jeu et de liberté. Mais le temps a complètement modifié cet espace, maintenant, soit les chemins sont balisés, voire interdits pour leur dangerosité, des banderoles tendues, tel un lieu de crime, soit de magnifiques chemins de pierre, voire goudronnés, en retrait de la falaise, permettent de relier les différents points de vue..
Le comportement naturel de l’érosion est en mouvement. Coquillages, fossiles, pierres taillées, empreintes forment des strates profondes et redeviennent matière première. Pas de vision réfléchie des formes, car ces objets inertes, en décomposition, réagissent à la lumière du soir et paraissent venir d’une civilisation lointaine. J'aime ce mystère où les formes étranges naissent et s’appellent les unes les autres, se frayent un chemin en quête du fantastique naturel.
La pointes aux oies, le noirda, le cran aux œufs, ces pointes qui s’avancent, nommées par l’homme probablement pour des faits historiques, étaient, pour mon père, des repères de pêche en mer. Marin dans son âme, il balisait ces lieux afin de se repérer, c’était son astrolabe terrestre. Le monde naturel vit au rythme des saisons, des étoiles, des jours, et le temps par degrés s’impose, se révèle, comme une marche du cœur pour l'homme. Ici, c’est la mer qui crie, chante, se déchaine et finalement impose sa forme graphique - l’enchainement des éléments s’inscrit, se superpose par couche successive et façonne durablement la roche friable. On peut mesurer le temps par ces formes abstraites déposées à même le sol où des pans entiers de falaise se sont affaissés sur des centaines de mètres, créant une deuxième, voire une troisième falaise.
Au grand barbier, c’est une famille de phoques qui a trouvé refuge et habite dorénavant ce lieu aux innombrables rochers, récifs si dangereux pour les navigateurs en période de tempête. Le soleil déverse sa lumière dansante et rasante du matin sur le sentier étroit et sinueux, balisé par les ronces sauvages et porteuses de fruits bientôt mûrs.
En revenant sur mes pas, je découvre qu'il est possible d'accéder à la mer par une corde attachée à un buisson trapu et solide, un ancien cordage de bateau trouvé sur place a fait l'affaire. Je descends par cette enclave et me retiens tant bien que mal, puis je finis par arriver sur les silex marins. Cet endroit est sauvage, coincé entre la falaise et la mer, qui a créé une érosion naturelle, me retrouvant aiisi face à une mémoire archéologique vivante. Des colonnes travaillées par la main du temps couchées sur le sol, la glaise humide qui garde les empreintes de pas, où quelques plantes se sont implantées par le vent, l'érosion laisse apparaître de fines couches poudrées d'une couleur chaude de terre rouge tirant vers le jaune d'ocre. Par endroit, se sont des niches naturelles que les éléments ont construit par répétition, des enclaves où nous pourrions déposer la sculpture d'un dieu tutélaire.
Le temps se stabilise ici-même, sa facture est présente sans l'intervention de la main humaine, comme si nous étions à bord d'un avion, ou dans la cale d'un bateau, nous ne ressentirions aucune sensation de vitesse, pourtant, c'est une métamorphose vers un effacement du temps. Dans cet espace naturel, la falaise fut creusée par la succession ininterrompue des marées, les formes sculptées répondent à l'affaiblissement de la matière minérale et prennent la consistance d'une présence organique, se matérialisant sous la forme d'un visage ou d'une partie du corps.
Comme au Noirda, vers Audresselles, où un bloc important s'est détaché et s'est posé littéralement à la verticale. Cette pierre est une mégalithe. Seule, debout, elle trône sur le sable et défie la mer et la falaise.
Au Blanc-Nez deux personnes sont allongées dans une petite crique. Là, sur la plage que le vent balaye, de fins grains de sable sont soulevés et forment un léger nuage sableux, qui se deverse sur ces deux corps assoupis. Brutalement, un hélicoptère de la marine se stabilise, il a repéré à quelques dizaines de mètres un pneumatique dégonflé avec rames, gonfleur et bagages. Une équipe de gendarmes vient repérer et traquer l'étranger, celui qui dérange. La falaise est aussi une frontière.
L'eau salée recouvrira, aplanira, creusera et façonnera un paysage mouvant.
La lumière habitera ces pierres endormies.
Alors, le grès, l'argile devenu glaise, se modifiera par la couche sableuse en une nouvelle empreinte minérale.