Saint-Omer, Mai 2019
Une hirondelle en suspension bat des ailes, s'arrête au dessus de la fenêtre, plonge vers la pelouse et disparaît.
Maintenant, plus rien, que le plein du vide, et le frisson du vent qui joue sur les jeunes feuilles printanières.
Le frou frou suspendu des plumes a disparu, une disqueuse au loin s'enrage nerveusement alors que le son régulier d'un marteau donne la mesure. Le soleil de l’après-midi est radieux. Je sors, ouvre la grille à deux battants de la Motte par un simple clic, et me voici dans la rue, devant le portail sud de la cathédrale. Je traverse l’intérieur de ce vaisseau de pierres et me retrouve face à la maison de Jean-Luc Montois, mon hôte qui m’accueille à l’étage. Sur le palier, une vierge polychrome sculptée dans un seul tronc est posée face à la fenêtre. Cette œuvre respire d'une grâce peu commune, impose une présence particulière dans ce lieu de passage ; elle habite l'espace différemment selon la position de notre regard.
Elle me fait face, me dévisage, me met à nu. Cette Vierge, provenant probablement d’Espagne, s’est retrouvée dans un garage à Carpentras. Une âme généreuse l'en a sauvée. Désormais, entre de bonnes mains, accueillie avec empathie, elle poursuit son histoire, extraite de l'ensemble hétéroclite dans lequel elle se trouvait. Pietà recevant son fils mort entre ses bras, elle se révèle bienveillante, emplie d'amour et imprégnée de mystère.
La luminosité de cette terre du Nord glisse par éclats dans son drapé, épouse la matière légèrement aurique estompée par le travail du temps et lui accorde une certaine sérénité. En réalité, elle nous scrute, nous dépouille. L’artiste par touches successives a dissimulé la douleur dans le corps de cette statue, douleur qui sourd par vagues, démontre l’amour qui s’apprivoise, nous pénètre en un face à face. Impossible de se rétracter, de s’éclipser, il s’impose à nous ; ces deux forces qui la façonnent, la douleur et l’amour cohabitent en elle et nous renvoient nous-mêmes à ces dimensions inhérentes à la vie humaine.
Comme me l’exprime mon hôte : « je lui parle, la caresse, la porte dans mes bras et elle est ma bonne compagne. » Voilà comment il faudrait faire : se saisir de la vie comme Jean-Luc Montois le fait avec sa Pietà, ou prendre exemple sur l'hirondelle qui emplit tout l'espace.
La pietà qui trône avec majesté, sur un palier à côté d’un scribe, laisse apparaître en son envers, un trou béant. La matière enlevée par le sculpteur, les coups répétés du ciseau à bois ont amplifié l’impact du travail réalisé. Sombre et noir, le contour de la Vierge est dessiné par le froissement de la lumière. A la place du visage, un abîme profond et saisissant se précise, et, chose étonnante, le vide devient un plein. Cette beauté sublime de la profondeur, mise à nue dans cet espace caché, présente au spectateur un paradoxe qu'il se doit de déchiffrer afin de l’intégrer.
C'est une Joconde sans visage, une œuvre unique en deux temps, deux espaces que l'artiste offre à celui qui osera s’en pénétrer. C'est un peu comme un négatif photographique, sauf qu'ici, il n'y a pas de transparence. En photographie, grâce aux nuances de gris, nous obtenons une image ; en sculpture, c'est en évidant que la forme se précise. La lumière et l'ombre vont apporter à cette œuvre sa vie propre dans un espace tridimensionnel. La partie inversée, fruit d’un lent labeur, est aussi importante que sa face, elle nous appelle, nous interpelle.
Un air d'opéra se fait entendre dans cette vaste maison, c’est celui de Papagéno qui dit : « et un et deux et … » ; l’une des nombreuses horloges se met en mouvement, sa sonorité nous replonge dans le rythme de la vie quotidienne...
La belle pérenne bleue s'étire et, ses ailes déployées, plane au-dessus de la terre : silence. C'est le moment du chant du vol de l’hirondelle.