Buchenwald Printemps 2019

Buchenwald Printemps 2019

Buchenwald Printemps 2019

Buchenwald Printemps 2019

Buchenwald Printemps 2019

Buchenwald Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora-Mittelblau Printemps 2019

Dora Mittelblau Printemps 2019


Espace vide : chants d'oiseaux, trilles des mésanges retentissent en voltige dans la vallée rocheuse. Baraquements invisibles, blocks, emplacement d’un point d'eau, le seul recouvert de mousse aux couleurs verte et rouille. Une présence silencieuse habite dorénavant la vie quotidienne à Dora. Une masse de ferraille repose. La végétation printanière se montre tout juste et les bourgeons des frênes commencent à se dilater.

Un morceau de béton repose sur ce sol meurtri avec à son sommet un crochet inutile, informe, délimitant un périmètre inexistant. Le soleil laiteux masqué par un voile de nuages filtre la vie qui s’exalte de la nature ayant retrouvé ses droits sur ce lieu. En cet endroit, un ancien bassin à hauteur d'homme dressé sur son socle de forme circulaire et sans eau se dresse au beau milieu du camp- forêt où seule la mousse manifeste une présence disparue. Soudain un lièvre au pelage fauve, énorme, saute non loin de cet espace appelé bordel. Il est drôle de voir cette bête sauvage, à fière allure, aux grandes oreilles régner maintenant dans cet univers désœuvré où juste les arbres délimitent un bordage presque inexistant. Je ramasse un peu de cette roche blanche aux multiples cristaux que l'eau, le gel, la neige ont transformé en matière friable et dure à la fois. Plus loin, dans la profondeur du camp, des arbres aux écorces rougeoyantes se dressent verticalement. Ils ont remplacé les blocks ; il appartiennent à cette mémoire du temps d’après. Ils n'ont pas connu les cris, les coups, les hurlements, la mort quotidienne. Ils sont vecteurs de résilience mais peut-il y avoir résilience là où toute humanité n'est plus, là où l'homme n'était plus qu'un lego, une pièce de couleur indifférente livrée à une force destructrice, un esclave ravalé au rang d’animal.

A ce moment, comme porté par les chatons des arbres bourgeonnants une harmonie de chants de voix humaines s’élève remplissant l'espace vide du ciel. C'est l'unique voix d'une chorale. Elle emplit tout l'espace vital et mon corps traversé d'une émotion vive s'arrête, quitte le dépoli de la chambre photographique. Ces voix viennent de l'endroit le plus haut du camp, celui que tout regard devait voir, visible de tous avec sa mortelle fumée et son odeur caractéristique. En ce jour de printemps 2019, des descendants sont venus libérer leur trop plein de souffrance et chanter une hymne aux âmes de leurs ancêtres sacrifiées en holocauste. Ces voix mélangées aux chants des oiseaux portent la mémoire éternelle. La voix libératrice, celle qui sauve de l'oppression. Cette chorale incarne et ravive les larmes qui deviennent ce ferment régénérateur entre le connu et l'inconnu, le sondable ou l’insondable. Elles sont peut-être ce que nous essayons de percevoir de l'éternité. En contre bas, sur une plate forme reliée au four crématoire par un escalier, une sculpture de bronze domine la place d’appel : cinq détenus sculptés forme l’étoile juive. Les choristes en larmes montent l'escalier avec des gerbes, rentrent dans le crématorium alors que les collégiens n'ayant aucun lien de sang viennent par sincère empathie déposer une rose blanche symbolique aux pieds de la sculpture. 

Sur ma gauche, là où reposent les cendres recouvertes de pierres rejetées par les fours, je vois un vélo tout terrain descendre à vive allure la colline qui jouxte le crématorium. Aucune délimitation, ces deux mondes des vivants et des morts s’entrecroisent. Vivre en contact avec la mort c’est peut-être vivre en communion de souffrance avec tous ceux qui nous précèdent dans notre temps contemporain où tout semble aller si vite ; et cette éternité du visible et de l’invisible créée une relation pérenne.