Emmaüs Nieppe 1 Juillet 2017

 « Verbier la chasse au papillon » Août 1961

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En suisse, domaine des quatre vallées, une pente douce, des herbes sauvages, c’est l’été. La neige a fondu, une jeune fille tenant son filet attrape avec sa main droite des papillons. l’image est parfaitement centrée, avec son seul personnage central, juste un peu décalé vers le bas. Le photographe, le père ou la mère de l’enfant donne à voir le paysage qui s’étend sur une pente importante ; avec des chalets disséminés sur le coteau. Nous avons en tout dernier plan les hautes montagnes des Alpes Suisses. C’est un paysage bucolique où le regard attentif peut se promener sans se lasser des couches nombreuses composants cet espace. Sur la gauche de la photographie juste après le deuxième plan : un poteau électrique, une grosse voiture Américaine y est stationnée. Ceci apporte à cette scène estivale son ancrage dans son époque contemporaine, la Simca. La voiture n’est pas plus importante mais elle fait partie du tout, on sent qu’elle a été vue et incorporée au cadre. Le contraste est quand même saisissant entre la joie enfantine du jeu de capturer un papillon et cette voiture présente dans la montagne alpestre. D’ailleurs cette automobile est peut-être celle du photographe, nous pouvons le penser.

Les chalets en bois au troisième plan se répartissent joyeusement, l’espace paysagé que le filet habilement conduit par le bras droit de la jeune fille. 

Les mailles en plastique gonflées par le vent emprisonnent déjà les ailes de la liberté et reprennent la forme architecturale des chalets. L’image argentique du noir et du blanc renforce la tendre dualité de ce moment de vie. Sous un soleil avec si peu d’ombre une forte chaleur semble probable, cette scène se déroule dans un cadre parfaitement idyllique. Pas un seul autre personnage dans l’espace visuel, pas d’animaux alentours, rien que la jeune fille aux chaussettes blanches, à la robe également blanche, aux formes géométriques et probablement un papillon dans son filet. Ses chaussures ne nous sont pas visibles mais la jeune fille n’est pourtant pas coupée de son enracinement terrestre. Dans cet espace temps, rien de criminel envers la nature, juste la soif de contempler les ailes d’un spécimen rare volant de graminée en graminée. Le cadrage n’est pas banal non plus, non fuyant il apporte une rigueur par sa verticalité avec une certaine fragilité marquée par les herbes et s’éclaircissant par leurs mouvements portées par la lumière. Au dos de l’image, une date : Août 1961, voilà de quoi nous apporter l’élément clef du soleil à son plus haut point en ce moment de l’année. Il réside dans cette scène un désir de garder un souvenir. Il y a plus que cela, inconsciemment une liberté sincère s’en dégage. La joie de voir une vie qui va se métamorphoser, franchir l’âge nubile et s’incarner totalement au monde. Il y a dans cette photographie trouvée à Emmaüs une grâce que l’on découvre dans la peinture de Balthus. Un personnage principal féminin avec un répond : son environnement, ceci sans que l’un n’empiète sur l’autre. La jeune fille à la chevelure blonde n’est pas devant une fenêtre avec un livre et un chat pas très loin, mais penchée, concentrée, elle regarde vers son filet avec attention et voit déjà la poudre colorée des ailes affolées se répandre légèrement dans ses mailles blanches.

Ce n’est pas une photographie volée, non plus un instant décisif mais un regard tout juste beau laissant place à une poésie contemplative libre.